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Dispers#1-F4 - 17 x 9,7 cm - Philippe Godderidge.

 
 
 

17cm X 9,7cm. Épaisseur infime
La diagonale est un peu plus petite que l’empan de ma main.

Une toile rigide ou peut-être rigidifiée par la peinture.

Une peinture écaillée, qui se desquame irrégulièrement.

Un vert caca d’oie tirant sur un marron terre de sienne brûlée, par endroits chargé d’un ocre jaune salit et tellement usé

Je parle de peinture alors qu’il pourrait ne pas y avoir cette intention. La fragmentation efface les gestes ne laissant que des bribes, des souvenirs, des laisses.

J’ai envie de gratter. De voir un peu plus la toile qui supporte : un tissage fin tissé assez lâche et certainement apprêté ; un fond de tamis, les miettes d’une histoire. Un support de tulle. Mon grand-père était ouvrier tulliste. Il faisait de la dentelle à Calais. Il est mort abimé par le plomb qui graissait les métiers. 

 A l’arrière de la toile : une lettre et un chiffre qui nous rappelle la séparation.
Le matricule : Extrait F4. Puis le titre d-i-s-p-e-r-s- qui nous renvoie au blog attenant et nous explique le projet.
 

Les morceaux sont éparpillés et vont vivre leur vie dans les familles d’accueil. Sans avoir de nouvelles des autres morceaux-frères pour un temps séparés.
C’est la question de l’autonomie qui se pose. Le petit bout de toile que j’ai reçu peut-il à lui seul prétendre au statut de Peinture ? Il suffirait pour ça que je l’accroche dans ma collection, à côté des autres. Mais le mystère en partie s’effacerait et je préfère le garder posé sur le bureau comme une page tirée d’un catalogue … qui ne me parlerait que des défauts de la matière. Des retraits excessifs, des décollements, des disparitions.

Je me souviens d’un texte de Camille Virot* à propos de ses émaux, qui disait :  mes émaux sont à la page « défauts des glaçures ».
C’est toujours ça qui me passionne : la qualité des défauts qui me fait regarder cette toile comme une petite œuvre humble et grave.

La peinture ne vaut que par ce qu’elle nous apprend de nous-mêmes. Celle-là me dit mes propres pertes. Mes manques.
Et la profondeur des couleurs de boue.

J’ai vraiment envie de gratter. Les croutes suivent la blessure et s’accumulent jusqu’à tomber. La croute amène la guérison comme les peintures de sable des indiens Navajos. La peinture alors remet, pour un moment, le monde en ordre.
Le tissu réapparait là où la croute est partie … le tissu d’origine ? ou juste le souvenir de ce qu’il fut … Empreint quand même du jus de la couleur.

 

P.G  juillet 2022

à propos d’un petit morceau de toile reçu par la poste

 

 

 

* Camille Virot, céramiste  français né en 1947  vit et travaille à Banon.




 

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