25_06

Dispers#1-F1 - Un ciel en soi - Angèle Maleyre

 




Il y a toujours un ciel au-dessus d'un souvenir.
Lorsque j'étais enfant, j'aimais prendre des photos avec un appareil jetable. Je capturais absolument tout, tout. Ce qui me valait de grandes déceptions au tirage. Je ne cadrais jamais bien. Il y avait, à coup sûr, beaucoup trop de ciel, un doigt devant l'objectif laissant sur les bords et angles des halots rouge vif - le même rouge que celui des yeux de ma grand-mère sur une photo que j'ai vaguement réalisée dans le salon, un soir de noël dans les années 90.
Sans humain, un ciel n'a pas d'âge.
Un jour j'ai décidé alors de trier ces photos, de les extraire de leur histoire. Elles ne valaient rien à mes yeux, elles ne racontaient rien d'autre que l'histoire de quelqu'un qui ne sait pas cadrer une photo. C'était une énième teinte de gris, bleu, blanc. Et pourtant je les gardais, par peur de les détruire, de les oublier. J'ai toujours détesté jeter une photo. On ne jette pas une photo comme on la découpe. Au moment où je me surprends à vouloir la jeter, je suis prise d'une forme de légère panique presque superstitieuse. La photo c'est la traduction papier du réel. Qu’en sera-t-il une fois jetée? 

Quand est arrivé ce morceau de toile par la poste, ce bout de ciel découpé et déraciné, alors ce sont toutes ces photos que j'avais triées minutieusement en les jugeant qui réapparaissaient. Une à une. Les reconsidérer. Une à une. Les restaurer. Une à une. Pour soi. 

Ici le ciel d'Italie qui couvre les vestiges, le ciel d'Arcachon qui borde le sable, le ciel d'Espagne blanchit, le ciel au-dessus des Pyrénées en hiver. 

Un ciel 

en soi 

un ciel.